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mercredi 20 novembre 2013

La fabrication culturelle des humains, par Tobie Nathan



Tobie Nathan
Professeur de Psychologie clinique et pathologique à l'Université de Paris 8


La psychanalyse nous a enseigné que le complexe d'Œdipe[1], une sorte de machinerie affectivo-logique s'abattant sur l'enfant entre sa troisième et sa cinquième année constituait la matrice à partir de laquelle il s'extrayait avec peine d'une sauvagerie simiesque pour se hisser par un acte de renoncement héroïque jusqu'à l'humanité (Totem et tabou et tant d'autres textes par la suite). Soit!



Il nous a fallu admettre les singes incestueux et parricides – nous l'avons accepté… nous les savons aujourd'hui beaucoup moins susceptibles de commettre l'inceste que les humains… beaucoup moins criminels, aussi… Soit encore !…

Étendant progressivement ses conclusions à la vie sociale, la psychanalyse a vu dans la prohibition de l'inceste le degré zéro de l'humanité, la loi fondamentale, jamais absente, en tous temps et en tous lieux, le sésame de la vie sociale, le concept absolu… Et ce n'est certes pas anodin qu'un penseur de l'envergure de Claude Lévi-Strauss ait suivi le mouvement et l'ait même considérablement accentué, tout au moins en France. Je le cite pour mémoire, écrivant en 1947:

"…la prohibition de l'inceste présente, sans la moindre équivoque,
et indissolublement réunis, les deux caractères où nous avons reconnu
les attributs contradictoires de deux ordres exclusifs: elle constitue une règle,
mais une règle qui, seule entre toutes les règles sociales,
possède en même temps un caractère d'universalité."


Loi/règle sociale d'une part donc, qui aurait dû disposer par exemple de décrets complexes et adaptés à chaque lieu; mais aussi, par son caractère d'universalité, une presque-"loi de la nature", dont la transgression aurait dû entraîner ipso facto une déchéance du statut d'humain… Et si le destin avait répondu à leur attente, anthropologues et psychanalystes auraient vécu l'insigne gloire d'avoir enfin découvert un fait semblable à ceux décrits par la chimie, la physique ou quelqu'autre science dure, un fait confirmé partout et de tous temps – un fait, enfin – le premier!

Là résidait l'objectif… Les affirmations triomphantes avaient seulement devancé les confirmations de terrain. Il aurait seulement suffi…


1) Que les psychanalystes, que les psychiatres, que les psychologues aient retrouvé à chaque transgression de la loi un équivalent de singe… un autiste, un psychotique… à la rigueur un névrosé grave… mais surtout: à chaque fois … une sorte de non-humain! Las, les faits ont refusé avec entêtement de s'inscrire dans la belle architecture proposée par les savants.

Les observations concrètes découvrent des "incestueux" quelquefois inhumains, d'autres fois surhumains, jamais non-humains… La plupart du temps "humains… trop humains"… Quant aux victimes d'inceste, elles souffrent certes de conséquences de frayeur, développent souvent des personnalités singulières, parfois aimant le risque jusqu'à braver la mort, parfois se recroquevillant dans la culture de secrets intimes. Mais de singes, point! Alors que penser?

L'erreur, il me semble, a été de vouloir sauver la théorie à tous prix, d'en chercher des confirmations distordues, cachées, "symboliques"… De fait, on a noyé le poisson, prétendu que l'inceste dont il s'agissait était une vue de l'esprit, que Freud voulait parler de la transgression d'un grand principe, qu'en évoquant l'inceste, il ne voulait désigner que la tentative d'échapper à "l'ordre symbolique"… Dommage! On aurait pu rebondir, admettre que le fait n'était pas là mais plus loin… chercher encore…

2) Et les anthropologues?


Ils auraient pu sauver la partie s'ils avaient découvert des sociétés obsédées par la prohibition de l'inceste, poursuivant et punissant sévèrement les coupables de transgression, discutant sans cesse du bien-fondé de la loi… Malheureusement, il n'en est rien! Non pas qu'il existe des sociétés qui n'interdisent pas l'inceste mais le plus souvent des sociétés pour lesquelles l'inceste ne constitue pas un problème intéressant… Plus même : qui se passent totalement du concept. En fait, on aurait dû commencer par là…

Si la prohibition de l'inceste était universelle, le mot aurait dû être immédiatement traduisible dans n'importe quelle langue. Or, il existe dans très peu de langues. Aujourd'hui, sous la pression des Occidentaux, certaines sociétés, par exemple africaines, font un effort pour trouver des traductions… La plupart du temps, elles disent: "sacrilège" ou "souillure"… Peut-être finiront-elles par créer un mot… Le plus probable est qu'elles adopteront le mot français ou anglais qui, par chance, est le même. Où donc était l'erreur?

Elle était évidemment d'abord d'imaginer que le fait était indépendant du concept – qu'il existait une donnée "naturelle", l'inceste, que les sociétés, partout et toujours devaient culturellement prohiber. C'était oublier que le concept même d'inceste était un fait de culture…


C'était aussi oublier qu'une société qui, comme la société française, interdisait depuis peut-être un millénaire les mariages avec les cousins jusqu'à la septième ou à la dixième génération ne pouvait pas penser de la même façon qu'une société dans laquelle le meilleur mariage était celui unissant ego avec la fille du frère de son père – comme la plupart des sociétés patrilinéaires d'Afrique de l'Ouest ou du Maghreb[2].

Mais une autre erreur entache les travaux débouchant sur des énoncés généraux traitant de la psychologie de l'humain : la simplification prématurée des données d'observation. Penser, par exemple, que ce qui intéresse les sociétés est la question élémentaire, celle même qu'on prête aux enfants – comment fabrique-t-on un enfant? (étant entendu par ailleurs que l'on connaît la réponse: pour fabriquer un enfant, il faut un homme et une femme) relève de la plus franche naïveté. Car, il ne suffit pas d'un homme et d'une femme… puisqu'il ne s'agit jamais de simplement "fabriquer un enfant", c'est-à-dire : de bêtement produire un humain…

Aucune société – la nôtre moins encore que toute autre – ne souhaite seulement "fabriquer" des enfants… Les sociétés désirent se reproduire. Les unes "fabriquent" des Grecs, d'autres des Juifs[3], d'autres encore des Mossis, des Mandings, des Inuits, des Hurons, des Tziganes…

Le problème de toute société
est de produire du semblable !

Et les questions que l'on retrouve partout sont : non pas comment faire pour que mon enfant soit un "humain" mais comment faire pour que moi, Dioula du Burkina Fasso, je sois le père d'un Dioula, tout comme moi… ou plutôt… tout comme mon père… ou encore comme le père de mon père… etc…

C'est ainsi que les Humains se posent en général les questions et non pas comme les psychanalystes ou les anthropologues. Et si l'on veut tout de même penser que c'est par erreur ou par aveuglement ou encore pour résister à l'éclatement de la vérité psychanalytique qu'ils pensent ainsi… Alors, ce n'est pas la peine d'aller si loin pour les écouter parler…

I. Les mythes de fondation


Les mythes de fondation sont des récits se déroulant en contrepoint de la donnée paradoxale de base – il faut un homme et une femme pour fabriquer un enfant – et les mythes de fondation racontent néanmoins la naissance de l'être humain. Mais attention! Pas d'un être humain abstrait, comme on a tendance à le croire, la naissance d'un être culturel : certes le premier des hommes, mais dans un même élan: le premier des Thébains, le premier des Juifs, le premier des Mossi.

Le mythe d'Œdipe n'est pas le récit
de la naissance d'humains abstraits
mais celui de la fondation de la ville de Thèbes,

tout comme celui d'Abraham
est celui de la fondation du peuple juif,

tout comme celui de Naaba Werdraogo,
celui de la fondation du peuple mossi[4],

Yoro,
celui de la fondation des Manding

et Soumaoro
celui des Soussous de Guinée[5].

A propos, s'en souvient-on? Le fondateur est toujours un étranger.
Le premier des Juifs n'était pas juif, mais chaldéen;
le premier Chrétien n'était pas chrétien mais juif,
le premier Musulman était au moins un peu chrétien[6],
et le premier humain pensé par Darwin
n'était évidemment pas un humain mais une sorte de singe.

Les mythes de fondation – tous les mythes de fondation, y compris celui, freudo-darwinien, de la horde primitive – ont besoin d'un ancêtre, jouant l'équilibriste entre deux mondes; tous les mythes de fondation ont évidemment besoin d'un fondateur…

Ainsi, à chaque fois, le problème n'est-il pas de faire un enfant – on aurait alors pu se suffire du père et de la mère – mais de fabriquer un être culturel spécifique.

C'est pourquoi

les mythes de fondation ne sont pas des "mythes"
(au sens d'histoires fausses, imaginaires,
justificatrices d'ignorance, équivalents de fantasmes),
mais des structures fonctionnelles.

C'est aussi la raison pour laquelle ces mythes ne disparaissent pas ; leur persistance n'est en aucune manière une survivance folklorique; ils fonctionnent; ils continuent à accomplir leur travail : celui de produire les êtres culturels que sont partout les humains, comme ils l'ont toujours été. Ainsi à la question: comment fabrique-ton les enfants, voici la réponse qui me paraît la plus correcte :

Les ancêtres accomplissent à chaque naissance
ce même travail initialement défini
dans le mythe de fondation de l'ethnie.

II. Hypothèse

Pour rendre ces observations fonctionnelles, je vais maintenant proposer une hypothèse. Tous les mythes de fondation viendraient se situer en contrepoint d'une donnée paradoxale initiale: pour fabriquer une fille, il nous faut mélanger du principe mâle et du principe femelle. Pour respecter la logique, sans doute aurait-il fallu qu'une femme, deux, un groupe de femmes soient à l'origine de la naissance d'une fille… qu'un homme, deux hommes, peut-être un groupe d'hommes soit à l'origine de la naissance d'un garçon…

Les mythes de fondation sont des récits se déroulant en contrepoint de la donnée paradoxale de base : pourquoi une fille doit-elle avoir un père? Pourquoi y a-t-il "de l'homme" dans une fille, "de la femme" dans un petit garçon? Pourquoi les garçons ne sont-ils pas engendrés par les hommes, pour engendrer à leur tour des garçons, et ainsi de suite? Pourquoi du même ne sort-il pas le même?

Les mythes, me dira-t-on, sont biologiquement faux. Je tiens à préciser que ce n'est pas là contingence de la pensée scientifique. Ce n'est certainement pas parce que "autrefois, les hommes ne savaient pas que ceci, ignoraient cela…"


Aucune réflexion sur la sexualité n'est aussi biologiquement juste que la « Génération des animaux » d'Aristote[7] qui partait pourtant d'observations empiriques communes, qui ne disposait d'aucun des appareillages complexes ayant permis le développement de la biologie moderne : microscope, fouilles archéologiques, développement de la physique moléculaire, que sais-je encore… Aucune réflexion sur la sexualité n'est aussi biologiquement fausse que celle de Platon qui pourtant, partait des mêmes observations.

Les mythes sont biologiquement faux, non parce que, au moment de leur création, les connaissances étaient insuffisamment développées mais par une nécessité intrinsèque: développer, en contrepoint des observations empiriques, un récit permettant de dénouer le paradoxe originaire:

Pourquoi de l'hétérogène pour produire de l'homogène ?Pourquoi du différent pour produire du semblable?

C'est cette impasse qu'enjambent les mythes de fondation. S'ils sont toujours biologiquement faux, ils sont surtout logiquement justes. Ils sont même l'armature concrète de la logique classificatoire[8].

III. Œdipe

Le mythe qu'on a pris l'habitude de nommer à partir du personnage d'Œdipe mais que l'on pourrait tout aussi bien appeler "mythe de Cadmos" contient le récit de la fondation de la cité de Thèbes. Il s'appuie sur une comparaison que Lévi-Strauss[9] a bien mise en évidence et que l'on pourrait résumer dans le schéma suivant:

Je ne reprendrai naturellement pas ici le raisonnement de Lévi-Strauss, par ailleurs bien connu. Je partirai de ses conclusions.

Remarquons tout de suite qu'Œdipe est un mythe politique puisqu'il fait glisser l'énigme originaire du sexuel au politique. Tout se passe en effet comme si, dans le mythe, on tenait le raisonnement suivant:


« … la belle affaire que de savoir pourquoi il faut du masculin et du féminin pour produire du masculin.
En revanche, à Thèbes, nous "savons" comment "fabriquer" un citoyen à partir de deux citoyens…
non d'une femme et d'un homme, mais de deux citoyens! »

Du même est alors issu le même – du citoyen à partir du citoyen – et, dans un même mouvement, le mythe a permis le glissement de la question initiale qui est passée de la problématique sexuelle à la problématique politique.

Dès lors, n'importe quel citoyen est l'égal de n'importe quel autre, a fortiori le fils qui devient – au moins d'un point de vue politique – l'égal de son père. Œdipe peut alors tuer son père, ce n'est pas un acte monstrueux, mais le meurtre d'un citoyen par un autre.

Mutatis Mutandis, cela devrait logiquement impliquer que le père pourrait éventuellement avoir des relations homosexuelles avec son fils… et l'on sait combien la pensée grecque est restée obsédée par une telle représentation, l'évitant dans ses récits mythiques, et la mettant en scène dans l'"initiation pédérastique" des jeunes gens[10].


De même, il ne serait pas impossible que deux hommes demandent à être les "parents" d'un enfant… Deux citoyens à l'origine d'un citoyen… S'il s'agit de "fabriquer" un "citoyen" et non un nomade-chasseur, un pasteur ou un agriculteur, le père ne doit plus occuper cette place centrale qu'on lui reconnaît dans des sociétés patrilinéaires strictes, comme celles que l'on peut encore rencontrer en Afrique. Il cède alors sa place au pédagogue – voire au pédophile – au tribun, au meneur, à l'Etat.

Œdipe résout bien l'énigme originaire, mais à la façon grecque! Œdipe est bien fondateur, héros-civilisateur, mais d'une cité qui a opté pour la laïcisation de la pensée, le caractère cumulatif du savoir, une cité où le fils doit, en principe, savoir davantage que le père. Œdipe initie un monde d'égaux où, politiquement, le père jouit des mêmes droits que le fils, supprimant du même coup les niches d'extraterritorialité, les statuts d'exception par nature. En cela, Œdipe appartient bien à l'Occident moderne. Et l'on peut comprendre pourquoi les psychanalystes, prêtres à leur insu d'une religion oubliée, continuent à l'honorer de leurs prières et – ce qui est évidemment beaucoup plus grave – à lui offrir en sacrifice les enfants des "métèques"[11].


IV. Naaba Wedraogo et Yoro



D'après Doris Bonnet[12] (1982, 1988), les Mossis du Burkina Fasso se réfèrent à la pensée selon laquelle une femme ne peut être enceinte que si elle est fécondée par une sorte de génie appelé Kinkirga, et cela au moment même de l'accouplement avec son mari.

Selon la pensée mossi, les kinkirsé (pluriel de kinkirga), sont les descendants des petits nains velus qui ont enseigné la chasse aux premiers hommes. Très proches des animaux dont ils comprennent le langage, ils savent prévoir leurs réactions, devinent l'emplacement des marigots où elles s'abreuvent, connaissent leurs pâturages.

S'ils partagent le monde avec les humains, ils n'en fréquentent que l'envers, là où foisonne la nature, là où s'exprime sa fécondité débridée. On les trouve dans la brousse, les trous d'eau, les sommets des montagnes, le faîte des tamariniers… Quelquefois, ils frôlent les hommes mais leur restent toujours invisibles. Les seuls êtres humains qui peuvent les apercevoir sont les bébés, les devins ou les fous. 

Leur vie est semblable à celle des hommes mais selon une logique inversée. Ainsi bercent-ils leurs enfants les pieds vers le ciel, "marchent-ils à reculons et mangent-ils de la main gauche". Si le monde des humains est celui du "regard à l'endroit", les Kinkirsé habitent celui du "regard retourné", ce monde d'où proviennent les enfants et vers lequel repartent les vieillards à leur mort.


Autrefois, au royaume Dagomba, il était une princesse, fille d'un roi qui l'élevait à la manière des garçons, lui enseignant l'art de la cavalerie et la science de la guerre. Comme le roi n'imaginait aucun mariage pour sa fille, donc aucune descendance, elle décida de fuir le village et se réfugia dans une cabane en forêt. Selon le mythe, le premier homme – ou plus exactement le premier mossi – Naaba Wedraogo – naquit de l'union de cette princesse, Yenenga, et d'un chasseur rencontré dans la cabane[13].

Il semble maintenant clair que les Mossis n'ignorent certes pas le rôle du père dans la fécondation mais professent une théorie selon laquelle la fécondité de leurs femmes proviendrait toujours d'une alliance (sexuelle) avec les représentants de la nature foisonnante, profuse et désordonnée: les génies kinkirsé.

Thèmes analogiques de la fécondation et de la fécondité de la femme, in D. Bonnet, 1988: 73.


Quiconque s'aventure de plain pied dans le monde des Kinkirsé, en ayant par exemple des rapports sexuels en brousse, et surtout à même la terre – c'est-à-dire: tout humain ayant touché sans médiation à la création absolue, le chaos – sombre dans l'errance et dans la folie.

Mais la femme, pour être fécondée, doit venir occuper un temps, sans doute l'instant précis de la jouissance, cet espace de l'entre-deux, le lieu-même où l'invisible chevauche le visible, l'endroit du contrat originel entre les humains, ordonnés mais stériles et les génies, asociaux mais féconds.

Des récits très semblables se retrouvent dans d'autres ethnies africaines. Sory Camara[14] a recueilli un conte construit selon la même logique, mais sur le versant masculin naturellement, puisque les mandenka du Sénégal sont strictement patrilinéaires.

Il était un jeune homme étrange qui ne ressemblait à aucun autre habitant du village. Il s'appelait Yoro. Il aimait à se promener seul en forêt et ne s'intéressait qu'aux êtres de la brousse. Un jour, un génie femelle prit apparence humaine et lui proposa une alliance. Elle s'adressa à lui ainsi: s'il acceptait de garder le secret sur le monde de la brousse, elle lui livrerait les clés de la richesse et de la fécondité. Yoro aimait les êtres de la forêt; il accepta le marché.

Le père de la femme-esprit lui fit passer bien des épreuves étranges dont il triompha tour à tour. Alors, le vieux offrit sa fille à Yoro, comme première épouse, mais il lui fit à nouveau promettre de ne révéler à quiconque que sa femme était un esprit. Si Yoro gardait le secret, il deviendrait riche et puissant. La femme-esprit reprit l'aspect d'un être humain et les jeunes époux revinrent ensemble au village des hommes. Alors, Yoro attacha une vache dans sa bergerie et le lendemain, il y trouva un troupeau. Il planta un grain de blé et en une nuit en obtint toute une moisson. Rapidement, il devint riche, très riche. Il lui naquit quantité d'enfants. Il prit une seconde épouse, une troisième, une quatrième. Il devint un grand roi.


Mais un jour, après une dispute avec sa première femme causée par la jalousie entre co-épouses, il pensa, l'insensé, qu'il pouvait conserver tous ses acquis (la richesse, le pouvoir et tous ses enfants) tout en se séparant de sa première épouse. Devant le village assemblé, il dévoila le secret. Il raconta ce qui s'était passé autrefois au village des génies; il avoua que cette femme était un esprit de la brousse.

"Ce fut le début de la jalousie
entre co-épouses"
et Yoro perdit toute sa richesse.

La fécondité est ici associée à la richesse et à l'acquisition du pouvoir. Mais, comme la fertilité de la terre, cette fécondité n'est pas donnée aux humains, elle leur est seulement prêtée. Tant qu'ils maintiennent l'alliance avec les êtres de la brousse, les hommes peuvent jouir de la fécondité. Mais si un jour ils croient en être réellement les propriétaires – les seuls propriétaires – toutes ces richesses leur sont aussitôt retirées.

C'est sans doute d'une telle conception que découlent les rites de fondation des villages qui, en Afrique Occidentale, contiennent souvent la notion du sacrifice originaire d'un enfant des hommes. Dans ces mythes, on semble dire que les humains doivent renoncer à l'idée d'être les propriétaires de leur "fécondité", doivent renoncer à des notions telles que la "fertilité naturelle" ou "biologique" de la terre et des femmes s'ils veulent accéder à la vie sociale (village) et à sa pérennisation (historicité).

Schéma du mythe du cultivateur africain

Nous retrouvons la même construction du mythe de fondation chez les Lébous du Sénégal chez lesquels l'ancêtre fondateur prend une épouse chez les esprits de la mer, ce qui lui conférera la capacité de réussir des pêches miraculeuses.


L'intérêt d'une telle construction mythique est évident. Si fabriquer un humain consiste à établir une alliance avec les "êtres de la brousse", lorsqu'il devient nécessaire de fabriquer un nouvel humain, il suffit de répéter l'alliance originaire. 

C'est pourquoi les naissances, les initiations pubertaires, moments de fabrication de nouveaux êtres sociaux, où le même (par exemple: le groupe des hommes) engendre éminemment le même (par exemple un nouvel homme adulte), sont-elles essentiellement des rituels d'alliance avec les génies de la brousse. De même lorsqu'il s'agit de restituer des significations devant les inévitables négativités de l'existence, est-il alors indispensable d'interroger les moments de fondation (d'une famille, d'une lignée, d'un village) afin de vérifier si l'alliance originaire n'a pas été rompue et dans ce cas, entreprendre de la rétablir par des offrandes, des sacrifices, l'érection de nouveaux autels. Parfois la thérapie d'un homme consiste alors à résoudre un problème avec les génies datant de plus dune centaine d'années.

Observation: Consentir aux offrandes


A la consultation d'ethnopsychiatrie, nous avons soigné un fils de chef manding de Casamance (Sénégal), âgé d'une cinquantaine d'années. Il était le dixième garçon d'une fratrie de douze garçons et d'une fille. Son grand-père était le fondateur du village; son père, chef du village, avait acquis richesse et pouvoir après avoir renouvelé l'alliance avec le bamanan, l'insoumis, le "sorcier", grand spécialiste des choses de la brousse.

Mais, comme souvent en pareil cas, le père, voulant préserver l'héritage de ses enfants, n'avait pas tenu ses engagements envers le "sorcier". Et surtout, les fils, ayant quitté le village, n'avaient pas renouvelé à leur tour l'alliance originaire. Les neuf premiers garçons étaient morts d'étrange manière et notre patient, désormais l'aîné de la famille, était persuadé qu'il mourrait à son tour s'il n'acceptait de restituer au "sorcier" – c'est-à-dire aux êtres de la brousse – les richesses acquises par son père. Cette "théorie" était tellement incarnée dans ses symptômes que notre patient "voyait" les êtres de la brousse, bien loin de son village, dans sa commune de la Seine-Saint-Denis, venir le terroriser. Il faut dire que cet homme était lui-même père de douze enfants et craignait de perdre aussi en un jour, les richesses qui lui avaient été octroyées.

N'en déplaise aux "ethnologues en chambre", les mythes ne sont pas seulement des "êtres intellectuels", les matrices mythiques n'ont pas pour seule utilité de rendre compte de l'ordre du monde. Elles révèlent une fonctionnalité – je dirai: quasiment technique – dans toutes les procédures de modification des êtres: naissance, initiation, mort et, ce qui est le plus important pour moi, en clinique ethnopsychanalytique, dans les techniques thérapeutiques.


V. Abraham

Dans La Bible, les couples de patriarches sont généralement stériles, le plus célèbre étant naturellement le premier: celui d'Abraham et de Sarah. Dans leur histoire, nous retrouvons les mots-clés des récits africains que nous venons d'analyser: fondation, alliance, sacrifice d'enfant, fécondité.



Abraham est évidemment un fondateur. On s'en souvient, il est un jour sommé par Dieu de détruire les idoles, de quitter la maison de son père et de fonder un nouveau peuple. " Va-t-en de ton pays, de ta patrie et de la maison de ton père vers le pays que je te montrerai. Je ferai de toi une grande nation… " (Genèse, XI, 1, 2).

Mais comment être à l'origine d'une lignée lorsqu'on est stérile? " Saraï était stérile et n'avait pas d'enfant… " (Genèse, XI, 30, répété et développé dans Genèse, XVI et XVII). Etrange contradiction que celle contenue dans l'injonction divine de fonder une lignée tout en condamnant le fondateur à la stérilité.

Mais lorsque Abraham est tout à fait convaincu qu'il n'aura pas d'enfant légitime – d'héritier – puisqu'il est alors âgé de quatre vingt dix neuf ans et sa femme de quatre vingt neuf, Dieu lui apparaît une nouvelle fois pour conclure une alliance: " Voici que mon alliance est avec toi et que tu deviendras père d'une multitude de nations. " (Genèse, XVII, 4). Et l'alliance consistait en ceci:

« Voici mon alliance que vous garderez entre moi et vous, et ta race après toi: tout mâle d'entre vous sera circoncis »
(Genèse, XVII, 10).

Abraham acceptant l'alliance, il obtient enfin un enfant légitime, malgré son grand âge et surtout celui de sa femme. Malgré son grand âge ou précisément à cause de son grand âge, pour souligner qu'il n'est pas – lui, un humain – à l'origine de cette fécondité inattendue.

Le texte est plus clair encore: c'est Iahvé lui-même qui fécondera Sarah:

"Iahvé visita Sarah, comme il l'avait dit et Iahvé agit envers Sarah
comme il l'avait dit. Sarah conçut
et enfanta un fils à Abraham en sa vieillesse… "
(Genèse, XXI, 1, 2).

Par la suite, Dieu demandera à Abraham de lui sacrifier cet enfant, son seul héritier, pour lui démontrer une nouvelle fois qu'il est, lui Iahvé, le seul propriétaire de cet enfant, puisqu'à l'origine de son engendrement. Dans ce récit, Dieu vient donc occuper la place exacte des génies kinkirsé des Mossis.

Mais dans la règle du "lévirat", dans les pratiques concrètes du choix des conjoints, dans la dénomination du nouveau-né, c'est le chef de tribu qui viendra prendre la place de Dieu (tous les enfants engendrés dans la tribu, sont des enfants du chef de tribu) et, dans un glissement continu, dans les fratries, le fils aîné. En effet, dans un système patrilinéaire strict, mon fils devra demander l'autorisation de se marier à mon frère aîné et non à moi, son père.

Le schéma général serait donc le suivant: Dieu transmet sa capacité fécondante à Abraham, Abraham aux chefs de tribus, les chefs de tribus aux chefs de familles et les chefs de familles aux fils aînés, et cela jusqu'à la fin du monde. Chez les Juifs, la marque visible de l'acceptation de cette transmission reste la circoncision. Nous pouvons conclure que le système sémitique, tel qu'il apparaît dans La Bible est bien un système de type mossi, mandenka, etc. mais adapté à des ethnies nomades, qui ne peuvent transporter dans leurs bagages leurs génies des eaux ou de la brousse, qui ont perdu le contact charnel avec leurs divinités fécondantes mais les ont remplacées par un Dieu abstrait, transmetteur de fécondité.

Schéma du mythe sémitique

Filiation et affiliation

A ce point nous sommes contraints de penser que nos connaissances biologiques "objectives" nous voilent un fonctionnement psychique et culturel fondamental:

tout enfant d'humain est fabriqué au confluent
d'une union biologique et d'une alliance culturelle,
renouvelée à chaque génération.

Croisement d'humain et de divinités,
tout enfant humain est donc nécessairement un métis.

Si la biologie, et plus tard la psychanalyse nous ont appris à tenir compte de la filiation d'un sujet, l'ethnopsychanalyse nous enseigne que ce qui est – du moins pour la thérapeutique – le seul référent maniable, est son affiliation, c'est-à-dire le système par lequel il est "fabriqué" non en tant qu'hypothétique "humain universel", mais en tant qu'humain concret: "être de culture".

La biocratie occidentale

Mais ne nous y trompons pas, l'occident n'échappe pas à la règle. Comme n'importe quelle autre culture, cependant, l'Occident prend ses mythes pour la réalité objective. Notre divinité, nous la connaissons: elle s'appelle Médecine. C'est elle qui fournit le contrepoint nécessaire à la fabrication du "métis": de l'enfant.

 
Schéma du mythe médical


Dans cette pensée, tout aussi "mythique" que les autres – ce qui, pour moi, vous l'avez compris, n'est certes pas péjoratif – l'on prétend que l'enfant ne naît pas d'un couple hétérogène mais de l'union de deux gamètes, invisibles à l'œil nu, soumises à des lois qui leur sont propres. Et cette pensée mythique crée naturellement un système d'affiliations. La divinité s'introduit, tout comme le kinkirga, dans le sexe de la femme pour transformer l'acte sexuel en fécondation. Nous appelons cela : "fécondation médicalement assistée" – le problème étant qu'aujourd'hui aucune fécondation n'échappe à ce type d'assistance…

Ensuite, le véritable propriétaire de l'enfant est bien le personnage à l'origine de sa fabrication. Au nom de principes abstraits, la divinité surveille ses enfants, les reprend, les place, les enferme, les oigne, les punit…

La psychanalyse

Mais ce type de pensée postule également un ancêtre. Nous le voyons de manière très claire dans le récit mythique proposé par Freud.


Dans Totem et Tabou, Freud expose longuement et avec de surprenants détails, ce qui s'est passé au début du monde, pour lui le "monde civilisé". Empruntant ses hypothèses à Darwin, il écrit qu'au début, les humains vivaient en petites hordes focalisées autour d'un père cruel et sanguinaire :


"Des habitudes de vie des singes supérieurs,
Darwin a conclu que l'homme a, lui aussi,
vécu primitivement en petites hordes, à l'intérieur desquelles
la jalousie du mâle le plus âgé et le plus fort
empêchait la promiscuité sexuelle"[15].

Organisation sociale sous forme de harem, donc, où le patriarche se réserve toutes les femmes (toutes les femelles), les mères et les sœurs, repoussant ses fils, ses neveux, ses cadets qu'il condamne à la plus triste des masturbations, voire même à l'homosexualité. Monde primitif étrangement semblable à l'univers bourgeois de la fin du XIXe siècle où un jeune homme ne pouvait prendre épouse qu'après s'être assuré les moyens de subvenir aux besoins d'une famille, errant des années entre plaisir solitaire et plaisirs vénaux[16].

Et maintenant, voici le mythe :

"… Un jour, les frères chassés se sont réunis,
ont tué et mangé le père,
ce qui a mis fin à l'existence de la horde paternelle.
Une fois réunis, ils sont devenus entreprenants
et ont pu réaliser ce que chacun d'eux, pris individuellement, aurait été incapable de faire…
Qu'ils aient mangé le cadavre de leur père,
il n'y a à cela rien d'étonnant
puisqu'il s'agit de primitifs cannibales."[17]

Freud fait ensuite découler les caractéristiques de toute vie en société, de toute culture, de cet événement primordial. C'est pourquoi, raconte-t-il, tout être humain hérite biologiquement du désir et de l'impossibilité de revenir à l'état antérieur : de posséder donc les attributs du père primitif, la propriété sexuelle de toutes les femmes et la liberté de tuer tous les hommes.

D'une certaine manière, ce mythe remplit bien, pour la psychanalyse, la même fonction que celle du récit du sacrifice originel du bélier divin pour les thérapeutes bambaras, fournissant aussi les modalités d'intervention. Car tout psychanalyste doit parvenir, dans la cure, à analyser les désirs incestueux, avatars de celui de posséder toutes les femmes (donc la mère et les sœurs) et les désirs parricides (et cannibales), avatar de la façon dont les frères primitifs se sont débarrassés de leur père.



Mais que dire de l'ancêtre freudien, ce premier fils qui tua et mangea le père pour sortir de l'enfer sexuel initial et civiliser le monde ? Qui est-il ? Une sorte de singe, assurément ! Un singe particulier, néanmoins : le dernier des singes, en quelque sorte, tout en étant le premier des humains.

Cette caractéristique, nous la connaissons dans d'autres mythes de création :

Abraham, le premier Juif était aussi le dernier idolâtre. Jésus, le premier chrétien, était aussi le dernier juif et Mahomet, le premier musulman ne l'est devenu qu'à l'âge de quarante ans.

Les "fondateurs" : le singe emprunté par Freud à Darwin, Abraham, Jésus et Mahomet sont tous quatre des "chaînons manquants", des êtres hybrides, des êtres "entre deux mondes". 

Peut-être toutes ces remarques ont-elles pu sembler un peu rapides… Considérons tout de même que si elles étaient vraies, cela impliquerait des modifications essentielles de notre cadre de pensée pour faire face aux impératifs de prévention et de thérapeutique de notre monde moderne, si complexe, si riche et si nécessairement polyculturel.






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Notes :


[1] Le concept de l'Œdipe étant étroitement liée à l'« évolution sexuelle de l'enfant », il fonde également tout l'édifice théorique de la psychanalyse. Sigmund Freud dit l’avoir découvert au cours de son auto-analyse en la rapprochant de l'histoire du héros de la mythologie grecque Œdipe, dont Sophocle (495-406) nous retrace le récit dans sa pièce de théâtre « Œdipe roi ». Une lettre à Wilhelm Fliess datée du 15 octobre 1897 (Lettres à Wilhelm Fliess 1887-1904, PUF, 2006) nous permet de dater la première occurrence du concept que l’auteur explique ainsi : « J’ai trouvé en moi comme partout ailleurs des sentiments d’amour envers ma mère et de jalousie envers mon père, sentiments qui sont, je pense, communs à tous les jeunes enfants ». Dans ses premiers écrits, Freud parle aussi de « complexe nucléaire » ou de « complexe maternel », notamment dans son « Études sur l'hystérie » (1895). Il rappelle qu'il a été conduit à élaborer ce complexe en étudiant la sexualité, les perversions et les névroses de l'adulte qui remontent à l'enfance. Freud constate dans un premier temps, « par l'observation directe et par l'étude analytique de l'adulte », que « l'enfant se tourne d'abord vers ceux qui s'occupent de lui ; mais ceux-ci disparaissent bientôt derrière les parents ». Ces rapports, note-t-il, « ne sont nullement dépourvus d'éléments sexuels ». L'enfant prend donc ses parents comme des « objets de désir ». En 1900, dans son essai fondateur de la science des rêves, « L'Interprétation des rêves », Freud rend publique sa théorie du complexe d'Œdipe  en se réfèrant explicitement à la tragédie grecque. Il y explique que le rêve fait souvent référence à des désirs d'enfance et prend le cas des névrosés dans leurs désirs affectueux ou hostiles pour les parents. En 1911, il ajoute que le complexe de castration est profondément lié à l'Œdipe et que dans le drame de Sophocle l'aveuglement d'Œdipe opère comme substitut de la castration.
[2] La famille patrilinéaire est un système de filiation dans lequel chacun relève du lignage de son père. Cela signifie que la transmission, par héritage, de la propriété, des noms de famille et titres passe par le lignage masculin. En anthropologie culturelle, un clan patrilinéaire est un groupe de personnes qui se reconnaissent un ancêtre commun en remontant à travers une lignée d'ancêtres masculins.
[3] La circoncision rentre donc en considération dans son caractère de rite initiatique permettant à l’enfant de passer à l’âge adulte dans les civilisations où elle a lieu à la préadolescence. Réflexion sans doute à étendre aux autres rites d’interdictions alimentaires et de prescriptions vestimentaires dont le but aurait été de distinguer les communautés par des signes distinctifs plus ou moins ostensibles.
[4] Werdraogo signifie « cheval mâle ». C’est un patronyme  très courant au Burkina Faso. À l'origine (Vers 1435-11465), il s'agit du nom du fils de la princesse guerrière Yennenga, l’amazone des Mossi fille du roi de Gambaga (actuel Ghana), qu'elle a eu avec Rialé, un chasseur solitaire vivant dans une forêt (prince malinké en exil).
[5] Les Soussous d'aujourdhui seraient bien d'origine Sosso, du royaume de Soumaoro Kante car après la défaite de ce dernier à la bataille de Krina en 1235, un certain nombre de ses guerriers et leurs familles, par crainte d’être massacrés par les vainqueurs, auraient quitté le royaume pour s'installer dans la région Djallonke d'alors, actuelle Fouta-Djallon.
[6] Plus exactement, la vie spirituelle de Muhammad suivait largement la voie de ce que la tradition a dénommé les « hunafa », de hanif, « qui s'écarte vers quelque chose » : c.a.d les adorateurs du culte d’Abraham. Les hunafa antéislamiques étaient des monothéistes arabes qui condamnaient les cultes païens, sans toutefois être ni juifs, ni chrétiens puisqu’ils rejetaient tout intermédiaire entre l'homme et son Créateur. Coran IV; 125.
[7] "La Génération des animaux" (en grec ancien Περὶ ζώων γενέσεως / Perì zốôn genéseôs, en latin De Generatione Animalium) est un ouvrage zoologique écrit par Aristote en langue grecque ; le texte pourrait être situé entre 332 et 300 av. J.-C. Le traité d'histoire naturelle des animaux comprend 9 livres rédigés de son vivant. Le livre X est considéré apocryphe. Ce texte est connu initialement en Occident via une adaptation arabe de cet ouvrage nommée Kitāb al-hayawān et qui contenait également les autres ouvrages de zoologie d'Aristote : l’Histoire des animaux, considérée comme antérieure aux Parties des animaux, la deuxième partie. Le traité commence par une étude générale de la reproduction, et examine ensuite les modes de reproduction propres à chaque classe du règne animal. La dernière partie de l'ouvrage est consacrée à une étude de l’embryon et des caractères congénitaux.
[8] Lévi-Strauss, La Pensée sauvage, Paris, Plon, 1962.
[9] Lévi-Strauss, Anthropologie structurale, Paris, Plon, 1958 ; nombreuses rééd. Pocket, 1997.
[10] Voir l’article de George Devereux, La pseudo homosexualité grecque et le "miracle grec" : http://www.ethnopsychiatrie.net/actu/homo.htm
[11] Psychanalyse païenne. Essais ethnopsychanalytiques, éd. Bordas, Paris, 1993 ; 3e édition, Odile Jacob poche, Paris, 2000.
[12] Doris Bonnet, Le proverbe chez les Mossi du Yatenga, Haute-Volta, Peeters Publishers, 1982, 192 p.
[13] Doris Bonnet, Corps biologique, corps social : procréation et maladies de l'enfant en pays Mossi (Burkina Faso) Paris, Éd. de l’Orstom, 1988.
[14] Sory Camara, Introduction à l'étude des tali mandenka, School of Oriental and African Studies, 197 2.
[15] S. Freud, Totem et Tabou, Paris, Payot, 1968, p. 145.
[16] Rappelons en passant que ce fut le cas de Freud qui dut attendre près de cinq ans avant d'épouser sa femme, à l’âge de trente ans. Les premiers sexologues, Havelock-Ellis et Krafft-Ebing notamment, ont abondamment décrit la misère sexuelle des jeunes bourgeois de l’époque et W. Reich s’est violemment indigné, on s’en souvient, contre cet état de fait.
[17] S. Freud, Totem et Tabou, op. cit., p. 163.

lundi 11 novembre 2013

Fins et défunts, entretien avec Sylvain Tesson

Je vous présente Sylvain Tesson.


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Écrivain voyageur, auteur du "Petit traité de l'immensité du monde" et
"Dans les forêts de Sibérie". Il revient à l'occasion de la Toussaint et d'Halloween sur les différentes expériences émouvantes, troublantes, étonnantes... Qu'il a pu faire de la mort au cours de ses voyages.

Bonne lecture

Cristobal


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"Le drame en Occident est l'occultation de la mort"


L'Internaute Voyage : Quelle célébration liée à la mort vous a le plus marqué à travers vos voyages ?

Sylvain Tesson : En décembre 2001 j'ai assisté à la fête des morts hindoue dans le temple de Pashupatinath, au Népal. Des milliers (des millions ?) de pèlerins affluaient vers le lieu sacré et bivouaquaient dans un désordre indescriptible, avec ce génie des peuples du subcontinent pour supporter la presse.



Pendant toute la nuit les fidèles veillaient sur la flamme d'une bougie censée représenter l'âme d'un mort. Je venais de perdre mon grand-père une semaine auparavant et j'ai sacrifié à ce rituel.









Aux lueurs du matin, nous avons gagné les rives du cours d'eau qui lavait les pieds du temple et nous avons confié à la rivière nos bougies, délicatement posées sur des feuilles de bananiers. Il faut s'imaginer une rivière couverte de milliers de lueurs. Une rivière en feu. Et le spectacle était saisissant de ces gens affligés qui laissaient au courant le soin d'emporter l'âme de leurs proches, sous la forme d'un lumignon, vers le Gange situé à quelques centaines de kilomètres au sud.






La même année en 2001, j'ai perdu quatre amis dans un accident de voiture en Afghanistan. C'était à l'époque des Talibans. Nous avons rapporté les corps de nos camarades dans notre maison de Kaboul et les avons allongés sur le lit. Ils dégouttaient encore mais leurs mains étaient froides. Nos amis Afghans étaient là et ont commencé à entonner des sourates en arabe.




Puis, deux merveilleuses bonnes sœurs catholiques (qui étaient restées dans Kaboul malgré les événements de ces dernières années) sont venues nous rejoindre et se sont mises à chanter des cantiques.

Et le frère de l'un des défunts a installé au pied des cadavres de jolies petites effigies du Bouddha et des bâtonnets d'encens.

Les sourates, les cantiques et la fumée de santal se mêlaient harmonieusement. Heureusement qu'aucun de ces Mollahs mi-butor, mi-cinglé, un de ces excités qui confondent la foi avec le code pénal n'est entré dans la pièce à ce moment là.


Y a t-il un rite funéraire totalement différent qui vous aurait particulièrement étonné ?

Oui, le spectacle des néo-crémations occidentales auquel j'ai parfois assisté (notamment en 1998 à la suite de la disparition accidentelle d'une camarade alpiniste). Comment des gens épris de beauté et de poésie peuvent-ils nous infliger de nous réunir dans des pièces blafardes décorées de bouquets de fleurs en plastique pour des cérémonies insipides agrémentées de discours mollement distillés par des clergymen livides.

Ces horribles moments ne correspondent pas à la culture occidentale qui jusqu'à une date récente nous amenait à côtoyer la mort et à la célébrer par la grande pompe ou bien par une modeste procession.

"Le drame en Occident est plutôt l'occultation de la mort. Depuis que la population de l'Europe est devenue urbaine, c'est l'institution hospitalière qui recueille le dernier soupir du défunt et non plus ses proches."

Peut-on dire que l'Occident craint davantage la mort que les autres cultures ?

Croyez-vous que la mort soit vécue avec plus de légèreté ailleurs qu'en Europe de l'Ouest ? J'ai entendu des plaintes affreuses en Iran, j'ai vu des gens vidés de toute énergie vitale à la suite de la mort de leur enfant dans une vallée du Pamir pakistanais.


L'imagerie occidentale a certes produit des visions effrayantes de la mort comme l'Ankou en Bretagne.



Mais la conversion chrétienne de l'Occident apaise la vision de la mort en instituant le dogme de la vie éternelle. (Personnellement, n'étant pas chrétien, je préfère imaginer que seul le néant nous attend de l'autre côté. Cela aide à vivre puisque, lorsque l'on attend rien, il faut se dépêcher de jouir des choses. C'est la position hédoniste... )

Le drame en Occident est plutôt l'occultation de la mort. Depuis que la population de l'Europe est devenue urbaine, c'est l'institution hospitalière qui recueille le dernier soupir du défunt et non plus ses proches. Je le déplore. J'aime l'idée que je rendrai un dernier soupir avec les miens avant de plonger dans le néant, plutôt que de m'éteindre sous les néons d'une clinique de gérontes.

Que vous évoque une fête comme Halloween ?

J'aime l'idée de la fête des morts. Mais je préfère la célébrer dans le silence et la solitude qu'en suivant les nouvelles injonctions des marchands. Cela dit je comprends bien que les petits gosses préfèrent jouer aux sorcières plutôt qu'accompagner leurs parents dans des cimetières sinistres pour changer les fleurs en plastique sur la tombe du tonton, mort d'une cirrhose l'année d'avant.

Quand vient le premier novembre, je pense aux miens défunts, je bois un verre de whisky, j'en renverse un peu sur le sol pour les dieux tutélaires, je vais planter un cierge dans l'église de Saint-Séverin, je regarde une photo de ceux que j'ai aimés, je relis un passage de La mort de Jankélévitch ou une bonne nouvelle de Lovecraft. Mais l'idée de me foutre une citrouille sur la tête et de pousser des hurlements pour faire plaisir à des commerçants qui ont saisi l'aubaine d'une fête immémoriale pour fourguer leurs bricoles et qui ont raccordé les wagons du Capital à une tradition séculaire ne me caresse point.


Publié le 31 octobre 2012


Pour prolonger :
  • Philippe Aries, L'homme devant la mort, Ed. du Seuil, 1978.
  • Vladimir Jankelevitch, la mort ou l'expérience de l'impensable, émission radiodiffusée sur France Culture le 9 Août 2003.
  • Lovecraft, Oeuvres complète, Ed. Laffont, Collection Bouquin, 2010.
  • Ananda-K Coomaraswamy, La Signification de la Mort : Meurs Avant Que Ne Meures : Etudes de Psychologie Traditionnelle, Milano Archè, 2001.
  • Jean Poirier (Sous la direction de), Histoire des mœurs, tome 2, volume 1 : Modes et modèles, Gallimard, Collection Folio histoire, 2002.
  • Michel Angot, L'Inde classique, Belles Lettres, Collection : Guide des civilisations, 2002.
  • Marie de Hennezel et Jean-Yves Leloup, L'art de mourir, Pocket, 2000.
  • Jacques Ouaknin, Corps-âme-esprit par un juif, Le Mercure Dauphinois, 2004.
  • Jean-Pierre Schnetzler, Corps-âme-esprit, par un bouddhiste, Le Mercure Dauphinois, 1998.
  • Jérôme Rousse-Lacordaire, Corps-âme-esprit par un catholique, Le Mercure Dauphinois, 2007.
  • Placide Deseille, Corps-âme-esprit par un orthodoxe, Le Mercure Dauphinois, 2004.
  • Fadiey Lovsky, Corps-âme-esprit par un protestant, Le Mercure Dauphinois, 1998.
  • Maryam et Hussein Dassa, Corps-âme-esprit par une musulmane et un musulman, Le Mercure Dauphinois, 2004.
  • Henri La Croix-Haute, Corps-âme-esprit par un philosophe, Le Mercure Dauphinois, 1998.

Et tous les livres de Sylvain Tesson
  • On a roulé sur la terre, avec Alexandre Poussin, Laffont, 1996
  • Himalaya : visions de marcheurs des cimes, Transboréal, 1998.
  • La Marche dans le ciel : 5 000 km à pied à travers l'Himalaya, avec Alexandre Poussin, Laffont, 1998.


  • Les Métiers de l'aventure et du risque, Hachette, 2000.
  • La Seconde Côte d’Adam, dans Histoires de montagnes, collectif, Sortilèges, 2000.
  • La Chevauchée des steppes : 3 000 km à cheval à travers l'Asie centrale, avec Priscilla Telmon, Laffont, 2001.

    • Carnets de steppes : à cheval à travers l'Asie centrale, en collaboration avec Priscilla Telmon, Glénat, 2002.
    • Nouvelles de l'Est, Phébus, 2002.
    • L'Axe du loup, Laffont, 2004.

    • Les Pendus, Le Cherche Midi, 2004.
    • Les Jardins d'Allah, Phébus, 2004.
    • Chroniques des bords du Rhin, Éditions du Verger, 2004.
    • Katastrôf !, Bréviaire de survie français-russe, Mots et Cie, 2004.
    • Sous l'étoile de la liberté (photographies de Thomas Goisque), Arthaud, 2005.
    • Petit traité sur l'immensité du monde, Équateurs, 2005.
    • Éloge de l'énergie vagabonde, Équateurs, 2007.
    • L'Or noir des steppes : voyage aux sources de l'énergie, en collaboration avec Thomas Goisque (photographies), Arthaud, 2007.
    • Lac Baïkal : visions de coureurs de taïga, en collaboration avec Thomas Goisque (photographies), Transboréal, 2008.
    • Aphorismes sous la lune et autres pensées sauvages, Équateurs, 2008.
    • Haute Tension : des chasseurs alpins en Afghanistan (photographies de Thomas Goisque et illustrations de Bertrand de Miollis), Gallimard, 2009.
    • Une vie à coucher dehors, Gallimard (prix Goncourt de la nouvelle 2009).
    • Vérification de la porte opposée, Phébus, 2010.
    • Dans les forêts de Sibérie, Gallimard - Prix Médicis essai 2011.
    • Ciel mon moujik ! Manuel de survie franco-russe, Chiflet et Cie, 2011.
    • Aphorismes dans les herbes et autres propos de la nuit, Équateurs, 2011.
    • Géographie de l'instant , Éditions des Équateurs, 2012.
      Et ses films aussi :

      • Les Chemins de la liberté, Transparences production, 54 min, coréalisé avec Nicolas Millet et distingué par les Écrans de l'aventure (prix du jeune réalisateur 2004)
      • 6 mois de cabane au Baïkal, Bo Travail production, 2011, 51 min, coréalisé avec Florence Tran.