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lundi 28 octobre 2013

Le métier d'acteur, par Pippo Delbono

​"Le métier d'acteur peut devenir un métier absurde et il arrive parfois que les acteurs soient perdus, comme s'ils avaient oublié la nécessité d'utiliser leurs yeux et leur parole. Alors il émane d'eux comme une tristesse. Le métier d'acteur peut devenir dangereux, lorsque l'on perd la nécessité de trouver dans sa vie des choses plus profondes que des sentiments.

Si un acteur ne travaille que sur des sentiments, lorsqu'il va dîner après le spectacle par exemple, il est, demeure, son personnage. C'est un risque pour lui dans son métier et dans sa vie, outre le fait que ce soit insupportable pour les autres.

Un musicien ne risque pas de devenir une note, un peintre un paysage ou un sculpteur une statue, par contre quelqu'un qui fait du théâtre peut devenir son personnage et risquer de l'être à temps plein. Pour moi être acteur est un processus intime, humain et humble. Nous devons, comme tout un chacun, parcourir notre chemin vers la mort. Je ne peux pas me dissoudre dans moult pers​​onnages et attendre que la mort vienne comme ça, par surprise.

Je cherche et je mets tout en œuvre dans ma vie afin d'avancer avec joie et beauté vers la mort. Chacun appréhende ses histoires a sa manière, mais personne ne devrait oublier que la vie se termine par la mort. Si je cherche dans ma vie une vérité, une sincérité pour être plus profond, alors mon travail d'acteur a un sens. Il devient nécessaire.




J'adore cette histoire que quelqu'un ma racontée : des psychanalystes ont étudié pourquoi les Touaregs dans le Sahara n'ont pas besoin de thérapie et d'antidépresseur.

Ceux qui soignent les autres ont compris qu'il fallait être soi-même, passer au travers de moments douloureux et difficiles. Il me semble que cela devrait être de même pour les acteurs. Un acteur devrait dans sa vie, être en état de fragilité avec tous les risques que cela comporte.

Un état qui fait de lui un guerrier qui combat en parfaite connaissance de ses actes, de ses gestes, sans haine.

Je ne voudrais pas devenir un homme ou une femme de soixante-dix ans, dont on se rend compte, dès qu'il rentre dans un restaurant, que c'est un acteur. si l'on peut dire de quelqu'un qu'il est acteur, c'est qu'il a perdu sa dimension humaine et qu'il est devenu un personnage : un être spécial avec une certaine façon de rire, de bouger, de s'asseoir... dans ce cas-là, les acteurs deviennent des montres...

In Pippo Delbono, Le Corps de l'acteur ou la nécessité de trouver un autre langage, six entretiens romains avec Hervé Pons, Les Solitaires Intempestifs, 2004, page 79-80.

3 commentaires:

  1. La création, la vie, le plaisir intense d'être en création, d'être en vie... beau partage, merci !

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  2. Derrière les questions posées par ce texte sur la spécificité du comédien/acteur, est-ce que ne se profile pas celles des responsabilité des formateurs et des metteurs en scène qui jouent avec le feu et n'hésitent pas parfois à certaines manipulations psychologiques. En son temps Bertolt Brecht avait souligné ce danger dans la "méthode" de Stanislaviski.

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    1. Tout à fait d'accord cher Michel. Les fonctions/notions de formateurs et/ou de metteur en scène méritent largement d'être questionnées dans ce que Pippo Delbono précise comme pouvant relever du mal du comédien, c'est à dire de la propension de ce dernier à ne plus quitter ses oripeaux de scènes et courir le risque, sinon jouir, de n'être plus jamais lui-même : Soit un homme simple qui marche vers la mort.


      Il n'est pas anodin dés lors que Brecht pointe ce travers chez l'acteur lui qui ne pouvait concevoir de formes théâtrales qui ne fut dédiées à la prise de conscience du réel par le spectateur. Ne pouvant souffrir qu'une fiction trop bien faîte disperse l'attention et détourne le regard de la vocation philosophique et politique qu'il conférait à son art.

      J'entends tout aussi bien la critique envers Stanislavski bien qu'il faille je crois en préciser les contours.
      Cette façon de nommer son grand œuvre "La Méthode" est déjà, selon moi, très inappropriée sachant que son auteur n'aura jamais cessé jusqu'à la fin de rechercher les moyens les plus efficaces pour développer l'organe de la créativité chez le comédien.

      Ce dont témoigne l'ouvrage de Marie-Christine Autant-Mathieu, "La ligne des actions physiques", dont les exercices proposés ne peuvent être plus éloignés du psychodrame ou des tentatives d'intériorisations excessives largement développées par Strasberg et son Actors Studio.
      Cela dit en conservant ma plus parfaite admiration à la succession des grands interprète qui s’y formèrent et spécialement au modèle de tous : Marlon Brando.

      Le cinéma à sans doute joué un fort mauvais tour au "Système" de Stanislavski. Terme qu'il employait lui-même avant de préciser qu'il s'agit d'une autre façon de qualifier "les lois de la nature".
      Puis d'ajouter : "Si nous créons en nous la capacité d'agir sur la scène selon ces lois, sans oubli ni enjolivure, rien ne pourra plus entraver notre subconscient. Alors nous n'aurons plus besoin du Système."

      Qu'est ce alors que ce "Système" si ce n'est la quête d'une certaine qualité d'être, d'un aboutissement, d'une nouvelle école de théâtre assimilée à l'utopique Abbaye de Thélème dont la devise enjoindrait chaque élève à faire "ce que voudras" !

      Ceci dit pour minorer toute tentative de réduire les vues de Stanislavski à un stricte naturalisme qui aurait trouvé son parfait écrin dans le réalisme cinématographique.

      Quant aux tentations manipulatrices que vous évoquez, elles semblent être malheureusement inhérentes à la stature démiurgique que confère l'habit de metteur en scène.

      Combien de fois ais-je constaté le volte face des âmes les plus tendres empoisonnées par l’envie de réduire les acteurs dans les formes de leur seul désir.

      Et combien d’autres mascarades nous ont-elles esseulé devant le volontarisme grotesque des petits caporals de plateau ?

      Bienheureux soit l’acteur qui compara un jour le metteur en scène à un animateur. Veillant scrupuleusement à ce que l’inventivité germe et se transmette le plus vivement possible au sein de la troupe. Bienheureux sois tu, Denis.

      L’on pourrait encore élargir nos horizons et dénicher par delà l’occident et par delà les temps de quoi confondre ces petits despotes. Les confronter à ce que les autres traditions ont pu laisser de témoignages concernant le métier d’accoucheur.

      Mais ceci sera pour un prochain écrit.

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