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jeudi 31 octobre 2013

Une lueur au fond du puits ? - Le dernier entretien d'Andreï Tarkovski

Voici la dernière interview donnée par le cinéaste Andreï Tarkovski (Andreï Roublev, Solaris, Le miroir, Stalker, Sacrifice), le 28 avril 1986, malade au lit, dans son appartement parisien.
Il n’a été publié que dans Nouvelles Clés.

***

Nouvelles Clés : On sent que le genre humain vous a déçu. Quand on voit vos films, on a presque honte d’y appartenir. Y a-t-il encore une lueur au fond du puits ?


Andreï Tarkovski : Discuter d’optimisme et de pessimisme est idiot.
Ce sont des notions vides de sens. Les gens qui se couvrent d’optimisme le font pour des raisons politiques ou idéologiques. Ils ne veulent pas dire ce qu’ils pensent. Comme dit un proverbe russe, un pessimiste est un optimiste bien informé. La position de l’optimiste est idéologiquement maligne, elle est théâtrale, et elle est dénuée de toute sincérité.

Par contre, l’espoir est le propre de l’homme.
C’est l’avantage de l’être humain. Il naît avec l’espoir.
On ne perd pas l’espoir face à la réalité parce qu’il est irrationnel. Il se renforce chez l’homme contre toute logique.


Tertulien disait et il avait raison : "je crois parce que c’est absurde de croire." 

L’espoir a plutôt tendance à se renforcer même face au plus sordide de notre société actuelle. Tout simplement parce que l’horreur, tout comme le beau, provoque des sentiments qui, chez un croyant renforcent l’espoir.

N. C. : Quels ont été les rêves qui vous ont le plus marqué dans votre vie ? Avez-vous des visions ?

A. T. : Je sais beaucoup de choses sur mes rêves. Ils sont pour moi d’une très grande importance. Mais je n’aime pas les dévoiler.
Ce que je peux vous dire, c’est que mes rêves sont en deux catégories. Il y a les rêves prophétiques que je reçois du monde transcendant, de l’au-delà. Puis il y a les rêves quelconques qui viennent de mes contacts avec la réalité. Les rêves prophétiques me viennent au moment de l’endormissement. Lorsque mon âme se sépare du monde des plaines et monte vers les sommets des montagnes. Une fois l’homme séparé du monde des plaines, il commence tout doucement à se réveiller. Au moment où il se réveille, son âme est encore pure et les images sont encore pleines de sens. Ce sont ces images que l’on rapporte de là-haut qui nous libèrent. Mais le problème, c’est que très vite, elles se mélangent avec les images des plaines et il devient difficile de le retrouver. Ce qui est certain, c’est que là-haut, le temps est réversible. Ce qui me prouve que le temps et l’espace n’existent que dans leur incarnation matérielle. Le temps n’est pas objectif.


N. C. : Pourquoi n’aimez-vous pas votre film Solaris ? Serait-ce parce qu’il est le seul à ne pas être douloureux ? (Une reprise de son film Solaris a été réalisé en 2003 par Steven Soderbergh, avec George Clooney, Natascha McElhone, Jeremy Davies...)

A. T. : Je pense que la notion de conscience qui s’y matérialise est assez bien exprimée. Le problème, c’est qu’il y a trop de gadgets pseudo-scientifiques dans le film. Les stations orbitales, les appareils, tout cela m’agace profondément.

Les trucs modernes et technologiques sont pour moi des symboles de l’erreur de l’homme. L’homme moderne est trop préoccupé par son développement matériel, par le côté pragmatique de la réalité. Il est comme un animal prédateur qui ne sait que prendre. L’intérêt de l’homme pour le monde transcendant a disparu.

L’homme se développe actuellement comme un ver de terre : un tuyau qui avale de la terre et qui laisse derrière lui des petits tas. Si un jour la terre disparaît parce qu’il aura tout mangé, il ne faudra pas s’en étonner. A quoi cela sert-il d’aller dans le cosmos si c’est pour nous éloigner du problème primordial : l’harmonie de l’esprit et de la matière ?

N. C. : Comment vous situez-vous par rapport à ce qu’on appelle la "modernité" ?

A. T. : Comme un homme... qui a un pied sur le pont d’un premier bateau, l’autre sur le pont d’un second bateau... L’un des bateaux va tout droit, et l’autre dévie vers la droite. Petit à petit, je me rends compte que je tombe à l’eau. L’Humanité est actuellement dans cette position.


Je pressens un avenir très sombre, si l’homme ne se rend pas compte qu’il est en train de se tromper. Mais je sais que tôt ou tard il prendra conscience. Il ne peut pas mourir comme un hémophile qui se serait vidé de son sang pendant son sommeil parce qu’il se serait égratigné avant de s’endormir.

L’art doit être là pour rappeler à l’homme qu’il est un être spirituel, qu’il fait partie d’un esprit infiniment grand, auquel en fin de compte il retourne.

S’il s’intéresse à ces questions, s’il se les pose, il est déjà spirituellement sauvé. La réponse n’a aucune importance. Je sais qu’à partir de ce moment-là, il ne pourra plus vivre comme avant.

N. C. : Aussi étrange que cela puisse paraître, les gens qui aiment vos films aiment aussi la science fiction de Spielberg, qui est lui aussi fasciné par les enfants. Avez-vous vu ses films et qu’en pensez vous ?

A. T. : En posant cette question, vous montrez que vous n’en avez rien à foutre. Spielberg, Tarkovski... tout cela pour vous se ressemble. Faux ! Il y a deux sortes de cinéastes. Ceux qui voient le cinéma comme un art et qui se posent des questions personnelles, qui le voient comme une souffrance, comme un don, une obligation.


Et les autres, qui le voient comme une façon de gagner de l’argent. C’est le cinéma commercial : E.T., par exemple, est un conte étudié et filmé pour plaire au plus grand nombre : Spielberg a atteint là son but et c’est tant mieux pour lui. C’est un but que je n’ai jamais cherché à atteindre. Pour moi tout cela est dénué d’intérêt.

Prenons un exemple : à Moscou, il y a dix millions d’habitants, touristes compris, et seulement trois salles de concert de musique classique : la salle Tchaïkovsky, la grande et la petite salle du conservatoire. Très peu de place, et pourtant, cela satisfait tout le monde.

Pourtant personne ne dit que la musique ne joue plus aucun rôle dans la vie en URSS. En réalité, la présence même de ce grand art spirituel et divin est suffisant. Pour moi, l’art des masses est absurde. L’art est surtout d’esprit aristocratique. L’art musical ne peut être qu’aristocratique, parce qu’au moment de sa création il exprime le niveau spirituel des masses, ce vers quoi elles tendent inconsciemment. Si tout le monde était capable de la comprendre, alors le chef oeuvre serait aussi ordinaire que l’herbe qui pousse dans les champs. Il n’y aurait pas cette différence de potentiel qui engendre le mouvement.



N. C. : Pourtant en URSS vous êtes extrêmement populaire. Quand on veut voir vos films, on se bat devant les caisses...

A. T. : Primo, en URSS je suis considéré comme un metteur en scène qui fut interdit, ce qui excite le public.
Secondo, j’espère que les thèmes que j’essaye de réaliser viennent du fond de l’âme, à tel point que cela devient important pour bien d’autres que moi.
Tertio, mes films ne sont pas une expression personnelle mais une prière. Quand je fais un film, c’est comme un jour de fête. Comme si je posais devant une icône une bougie allumée ou un bouquet de fleurs. Le spectateur finit toujours par comprendre lorsqu’on lui parle avec sincérité. Je n’invente aucun langage pour paraître plus simple, plus bête ou plus intelligent. Le manque d’honnêteté détruirait le dialogue. Le temps a travaillé pour moi. Quand les gens ont compris que je parlais une langue naturelle, que je ne faisais pas semblant, que je ne les prenais pas pour des imbéciles, que je ne dis que ce que je pense, alors ils se sont intéressés à ce que je faisais.

N. C. : Pensez-vous comme Soljénitsyne que le monde occidental est fichu et que la réalité ne peut venir que de l’Est ?

A. T. : Je suis loin de toutes ces prophéties. Etant orthodoxe, je considère la Russie comme ma terre spirituelle. Je n’y renoncerai jamais, même si je ne devais jamais la revoir. Certains disent que la vérité viendra de l’Occident, d’autres de l’Orient, mais, et heureusement, l’histoire est pleine de surprises.

En URSS nous assistons à un réveil spirituel et religieux. Cela ne peut être qu’un bonne chose. Mais la troisième voie est loin d’être trouvée.


N. C. : Qu’y a-t-il au-delà de la mort ? Avez-vous déjà eu l’impression de faire un voyage dans cet au-delà ? Quelles ont été vos visions ?

A. T. : Je ne crois qu’une une seule chose ; l’âme humaine est immortelle et indestructible. Dans l'au-delà, il peut y avoir n’importe quoi, cela n’a aucune espèce d’importance. Ce qu’on appelle la mort, n’est pas la mort. C’est une nouvelle naissance. Une chenille se transforme en cocon. Je pense qu’il existe une vie après la mort, et c’est cela qui se révèle angoissant. Cela serait tellement plus simple de se concevoir comme un fil de téléphone qu’on débranche. On pourrait alors vivre comme on veut. Dieu n’aurait plus aucune espèce d’importance.

N. C. : Quand avez-vous découvert que vous aviez une mission à accomplir et que vous en étiez redevable à l’humanité ?

A. T. : C’est un devoir devant le Dieu. L’humanité vient après. L’artiste collecte et concentre les idées qui sont dans le peuple. Il est la voix du peuple. Le reste n’est que travail et servitude. Ma position esthétique et éthique se définit par rapport à ce devoir.

N. C. : Quelle est la dernière chose que vous aimeriez dire aux hommes avant de quitter cette terre ?

A. T. : L’essentiel de ce que j’ai à dire est dans mes films. Il m’est impossible de monter sur une tribune que d’ailleurs personne ne m’a construite.


N. C. : Dans votre livre "Le Temps Scellé", vous dites : "L’occident crie sans cesse : Regardez ! Ceci est moi ! Regardez comme je souffre ! Comme j’aime ! Moi ! Je ! Mien... !" Comment avez-vous résolu le problème de l’ego en tant qu’artiste célèbre ?

A. T. : Je n’ai pas encore résolu ce problème. Mais, j’ai toujours senti sur moi l’influence et le charme de la culture orientale. L’homme oriental est appelé à se donner en cadeau à tout ce qui existe. Alors qu’en Occident, l’important est de se montrer, de s’affirmer. Cela me paraît pathétique, naïf et animal, moins spirituel et moins humain. En cela je deviens de plus en plus oriental.

N. C. : Pourquoi avez-vous renoncé à tourner la vie d’Hoffmann ?

A. T. : Je n’ai pas renoncé à ce film. Je l’ai remis à plus tard. Tourner Sacrifice était plus essentiel. La vie d’Hoffmann était destinée à être un film romantique. Or, le romantisme est un phénomène typiquement occidental. C’est une maladie. Quand l’homme vieillit, il voit sa jeunesse comme les romantiques voient le monde. L’époque romantique était spirituellement riche, mais les romantiques n’ont pas su utiliser leur énergie comme il le fallait. Le romantique embellit les choses, il fait ce que je fais lorsque je ne me suffis pas à moi-même : je m’invente moi-même, je ne crée plus le monde, je l’invente.


N. C. : Pourquoi au commencement y avait-il le verbe, comme le rappelle la phrase finale de Sacrifice ?

A. T. : Nous sommes très fautifs envers le verbe. Le verbe n’a de force magique que lorsqu’il est vrai.

Aujourd’hui le verbe est utilisé pour cacher les pensées. En Afrique, on a découvert une tribu qui ne connaît pas le mensonge. L’homme blanc a essayé de leur expliquer et ils n’ont pas compris. Essaye de comprendre la mystique de ces âmes-là, et tu sauras pourquoi au début il y avait le verbe.
L’état du verbe démontre l’état spirituel du monde. Actuellement l’écart entre le verbe et ce qu’il signifie ne fait que s’amplifier. C’est très étrange. C’est une énigme !

N. C. : Vivons-nous la fin du monde ou la fin d’un monde ?

A. T. : Une guerre nucléaire maintenant ? Cela ne sera même pas une victoire du diable. Cela sera comme... comme un enfant qui joue avec des allumettes et qui met le feu à la maison. On ne pourra même pas l’accuser de pyromanie. Spirituellement, l’homme n’est pas prêt à vivre ses bombes. Il n’est pas encore mûr. L’homme doit encore apprendre de l’histoire. Et s’il y a bien une chose qu’on a appris d’elle, c’est qu’elle ne nous a jamais rien appris. C’est une conclusion extrêmement pessimiste. L’homme répète sans cesse ses erreurs. C’est horrible. Encore une énigme ! Je crois qu’il nous faut fournir un travail spirituel très important pour que l’histoire passe enfin à un niveau élevé... Le plus important est la liberté de l’information que l’homme doit recevoir sans contrôle. C’est le seul outil très positif. La vérité non contrôlée est le début de la liberté.

Thomas Jonhson




"Une journée d'Andreï Arsenevitch" (One Day in the Life of Andrei Arsenevich) est un film documentaire français de 1999 réalisé par Chris Marker, sur et en hommage à Andreï Tarkovski.


9 commentaires:

  1. Merci beaucoup pour cette découverte.

    "Je n'invente aucun langage pour paraître plus simple, plus bête ou plus intelligent. Le manque d'honnêteté détruirait le dialogue. "
    Difficile à mettre en place, c'est un choix de vie et de création qui me parait incontournable, cependant.
    Vraiment, une lecture intéressante.
    Il y aurait bien entendu beaucoup à dire car beaucoup de thèmes ont été abordés, mais globalement, je pense que je retiendrais ces deux phrases si justes, si intransigeantes aussi. Matière à réfléchir, matière à vivre...

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  2. Passionnant entretien... belle clairvoyance... Je ne connais pas ce cinéaste mais il ma tarde de découvrir son œuvre.
    PS : Je découvre sur wiki qu'il avait dans ses projets "L'Idiot" de Dostoïevski, "Le Loup des steppes" de Hermann Hesse... (références communes, il m'interpelle d'autant plus, quoique guère étonnée après avoir lu cet entretien) : quel dommage que ces projets n'aient vu le jour...!

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  3. à propos de la citation de Tertullien : "je crois parce que c’est absurde de croire."
    La formule "Credo quia absurdum (est)" pour être effectivement attribuée à ce père de l'Eglise du IIème-IIIème siècles n'en est pas moins un raccourci.
    Les grecs critiquaient fortement la religion chrétienne pour ce qu'elle avait, à leurs yeux, d'irrationnel. Tertullien (et d'autres grands intellectuels chrétiens) ont insisté au contraire sur le fait que la Révélation, l'Incarnation, la Résurrection, tout ce qui "choquait" les philosophes qui se faisaient de la divinité une idée platonicienne, était au contraire la vérité, parce qu'on ne peut pas inventer une chose pareille qui ne correspond pas aux catégories de l'esprit humain, dans un monde entièrement dominé par la raison grecque, si ce n'est pas lié à un témoignage authentique.

    Remerciements à Simone G.

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  4. je trouve sa définition d’artiste juste. Peut être parce que cela raisonne avec ce en quoi je crois. franchise, sans demi-mesures,sans paillettes et sans compromis. il est vrai que même étant loin de notre terre natale,Russie, elle nous habite, elle s'incarne en nous irrémédiablement et sans prévenir.
    belle oeuvre, bel être, bel artiste.
    merci.

    Kseniya Kravtsova

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    1. Oui. Cette hauteur de vue quand il s'agit de créer, d'enfanter.
      On parle souvent d'accouchement, c'est vrai. De douleur et de durée.
      Je me rappelle d'un festival dans lequel je devais faire des lectures de l'ouvrage d'un auteur que j'accompagnais.
      Nous étions dans l'arrière pays héraultais, du côté du lac du Salagou, au dessus de Lodève..

      Une vallée rougie de soleil, assourdie par les cigales environnantes. Un terroir, une ville anciennement ouvrière, dont pas mal de maghrébins de souche, et des auteurs venus de la méditerranée, parler de leurs écrits, souvent dans leur langue maternelle (arabe, croate, catalan, italien, provençal, grec etc...).
      Des rues entières étaient bordés de stands ou figuraient des centaines, des milliers de livres.
      Plusieurs espaces se dédiaient l'un à la poésie libanaise, l'autre à la littérature bosniaque, un autre encore à des conférences conviant des auteurs d'Afrique du Nord. Nous étions au festival des voix de la méditerranée.
      Un petits sous bois où une petite centaine de personnes s'y trouvent allongées sur des hamacs, tranquillement bercées par le sons de voix inconnues, dans le seul plaisir d'entendre la musique des langues.
      Le lit de cette rivière où des chaises ont été installé pour que les gens assistent à la prochaine table ronde, les pieds dans l'eau.
      L'auteur que j'accompagnais logeait chez l'habitant. Une grande villa à flanc de colline, un nid d'aigle nous offrant chaque matin le splendide panorama de toute la vallée.
      Deux jours passèrent. Un détail important nous apparu : Pas un seul livre ne figurait dans cette grande maison.
      La seule chose qui importait à nos hôtes était notre confort par lequel ils contribuaient au "rayonnement" de la ville et de son festival. Et cela m'a réjoui.

      Qu'une manifestation culturelle, au programme aussi pointu et exigeant au sens littéraire, ai un tel impact, diffuse quelque chose dans l'air qui égaille chacun, qui prenne chaque personne pour ce qu'elle est, où il n'y a jamais de condescendance, où les piètres lecteurs comme moi ne s'y sentent jamais de trop.
      J'ai cru ressentir ce que j'entends des vieux témoignages des avignonnais des années 1960, parlant du festival.
      De simples bougres, à la langue pleine d'humus, et qui nous parlaient, leur voix tremblantes d'émotions, de tout l'amour et du respect qu'ils avaient pour "Monsieur Vilar" qui leur avait fait connaître "Monsieur Shakespeare et Monsieur Corneille" !
      Quelle étonnement.
      Cette expérience m'aide à comprendre l'idée que l'art est selon Andréï, de nature "aristocratique". Quand il nous parle des trois grandes salles de concerts existantes (en 1986), et qu'il dit que c'est amplement suffisant (pour près de dix millions de moscovites !)...
      Certes l'art, la création, une oeuvre à besoin d'authenticité pour rayonner de toute sa force.
      Ce qui rejoint je crois "l'élitisme pour tous" que proposait Vilar.
      Puis les gens la reçoivent, plus ou moins directement, selon ce qu'ils sont et le contexte dans lequel ils vivent.
      Si l'art est de nature aristocratique, s'il doit être le fait d'un acte pur, sans compromis ni paillette, je crois aussi qu'il n'est pas simplement l'affaire des artistes et que chaque être porte en lui cette faculté de créer, cette voie vers sa propre authenticité.
      Et que celle ci peut s'incarner dans des formes extrêmement variées.

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  6. De la part de Mim : Si l'art est de nature aristocratique, s'il doit être le fait d'un acte pur, sans compromis ni paillette, je crois aussi qu'il n'est pas simplement l'affaire des artistes et que chaque être porte en lui cette faculté de créer, cette voie vers sa propre authenticité."
    Je suis en plein accord avec ça,et tous ce qui suis aussi. Pour pousser la métaphore, si l'art est aristocratique, la noblesse est accessible à tous, pourvu que l'on veuille se donner la peine de porter un autre regard sur les valeurs qui nous sont chères.
    Qu'es ce que "créer"... Certains y voient, depuis le terreau abrahamique ancestralement répandu sous nos latitudes, un acte d'amour, d'autres, plus sensibles aux théories scientistes, y trouvent un élan naturel, universel, en quelque sorte, quelque chose d'instinctif, sans doute.
    L'homme pro-créateur peut-il créer?
    Je discutais un jour avec un ami artiste qui me disait que, selon lui, l'art, c'était créer toujours du neuf.
    Mais, lui ai-je répondu. ... Rien n'est neuf dans l'Univers. Tout est sans cesse réutilisé, repris, refaçonné, sans que rien (miracle!) ne se perde de la substance originelle.
    Quant à créer, ce serait, comme le disent les anglophones "from scratch", alors... Comme en quelque sorte un Dieu plutôt que comme un homme. Sommes-nous des sortes de petits dieux? Sans doute, oui, cela nous a été donné dans une certaine mesure, mais je suis tentée de penser que nous re-créons seulement.
    Peut-être re-créons-nous, peut-être le travail de l'artiste est-il au fond moins ambitieux que la création... Peut-être n'est-il que mouvement accordé à l'Univers, oeuvre de conceptualisation, de façonnage, de ré-emploi de la matière quelle qu'elle soit? Ce qui recouperait cette position d'oeuvrer en sincérité.
    Sans cela, on est déconnecté de la logique universelle, essayant seulement d'imposer la nôtre, avec toutes les scories de notre égo.
    Peut-être le "neuf" n'est-il qu'à relativiser et à comprendre tout simplement comme "goût du jour"?
    Peut-être la création en elle-même n'est-elle pas la finalité de l'art?
    On pourrait croire ici que je revois les ambitions à la baisse, mais j'essaie plutôt de définir une démarche qui ressemblerait non seulement à l'humain mais à tout ce qui l'entoure.
    La poésie (du terme grec qui signifie justement création) est un bon exemple, je trouve. Au départ, elle était destinée uniquement à célébrer le sacré puis, insensiblement, elle a accédé au profane, démontrant peut-être par là que l'un sans l'autre ne se conçoit pas... Chose humaine, est-elle création? Les codes et abandons de codes qui la conduisent depuis ses balbutiements en font un art musical et un art de verbe. Entre Lettres et Musique, elle balance, choisit ou pas. Chaque poète crée-t-il?
    Je ne le crois pas. Il re-crée, sans doute, mêmes s'il peut inventer une forme (ce qui, dans l'univers francophone, sera de plus en plus difficile à présent que tout, plus ou moins, a été tenté. ). Mais cela n'amoindrit pas son oeuvre, puisque c'est sa véritable nature.

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    1. J'ai pris l'habitude de penser que créer relève véritablement de l'humanité.
      Plus précisément : Je crois que la recherche conjointe du sens, du beau et du symbolique est l'expression fondamentale de l'humanité d'un être, voire la notion même d'humanité.
      Ce qui veut dire aussi (je l'admets) qu'il y a des êtres qui vivent en deçà de leur humanité, c'est à dire de leur capacité à œuvrer selon un sens, à se nourrir de beauté, à ressentir la face cachée des formes apparentes. Non pas bien sur qu'ils en est toujours été dépourvu, (sans quoi l'état d'enfance ne serait qu'une mauvaise passe!), mais plutôt qu'ils l'ont perdu ou qu'ils s'en sont éloignés d'une manière ou d'une autre.
      Par ailleurs, je suis aussi très dubitatif quant à la quête d'originalité, notion qui ne m’apparaît pas fondamentale, et je reprends avec plaisir l'image de l'univers, auquel on appartient, et à partir duquel on ne saurait ajouter ou soustraire quoi que ce soit d'autre que lui.
      C'est une vieille question que de savoir ce qui demeure et ce qui perdure au fil des formes, des événements.
      L'histoire est elle cyclique ? La querelle des anciens et des modernes ne se répète elle pas sans cesse ? Les désillusions de Musset dans ses "Confessions d'un enfant du siècle" ne précèdent elles pas celle des enfants de 1968 ? Oui ? Non ? Peut-être, sans doute ..
      Donc, point d'originalité véritable. Là n'est pas le cœur du sujet.
      Si nous ne faisons que "ré-employer la matière", la promesse d'une oeuvre serait alors de lui ré-insuffler la vie. Là se situerait sa nécessité, sa légitimité, voire son utilité, c'est à dire son accord profond à son lieu de naissance.

      Par ses derniers propos je défends déjà le monde ancien au détriment du monde nouveau.
      Non pas que les premiers hommes à l'origine des arts rupestres ou pariétaux aient été dépourvu du désir de peindre pour peindre, de graver pour le seul plaisir de graver. Mais nous savons que les témoignages restant rajoutent à ses œuvres des fonctions magiques (Ritualiser par l'oeuvre la supériorité de l'homme sur l'animal par ex.), initiatiques (totémisme et chamanisme) voire ethniques (Marque de possession d'un territoire sur l'ennemi).
      et là encore, l'auteur de ces "traces" résout-il les questions du sens, du beau et du symbolique pour ce qui le concerne, là où il est.
      Ainsi ce fait-il démiurge. Créateur de monde, ou si l'on préfère d'une part de cosmos empruntée à l'univers.

      La quête d'originalité est ici dors et déjà trop moderne et inadaptée. Il n'y a pas ici d'originalité qui vaille.
      Ou alors, se serait le fait de revenir à l'"origine" : Créer dans une certaine intention.
      D'ailleurs, c'est cette vision qui est non seulement utile, mais aussi salvatrice pour les interprètes. Il se peut bien sur que la voie de la sincérité se manifeste par une "relative" innovation, mais le plus important reste de vivifier une forme, connue ou pas.
      De vivifier une forme et de manifester cette vie, à l'extérieur.

      Voir aussi les analyses de Coomaraswamy sur la différence entre l'esthétique et le sens du Beau. http://sophia.free-h.net/spip.php?article311

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  7. J'aime beaucoup cette idée de "vivifier une forme", c'est vraiment ce que je projette dans l'écriture, comme je l'ai fait dans d'autres formes d'expression. Finalement, oui, la création est d'abord un don de vie.
    La beauté... Me laisse assez perplexe. Je crois que l'art contemporain occidental a cherché à s'affranchir de ce concept, en créant hors normes des objets ou situations qui déclenchent d'autres sensations que celles du beau, qui se dépouillent de la volonté esthétique.
    L'article que tu mentionnes est très intéressant, il me rappelle certaines lectures de mon bac, en arts plastiques. Était-ce Kandinsky qui développait aussi cela? Je ne me souviens plus.
    En attendant, le problème de la beauté et de sa subjectivité est vraiment une question en suspens... Elle m'évoque un peu l'objet cause du désir, appelé par Lacan l'objet a (lire "objet petit a"), celui qui suscite dans le sujet les attirances et, par frustration ou rejet, les répulsions, par exemple. Comment se constitue cet objet? Qu'est-il véritablement? Je le crois responsable de notre conception de la beauté, de même que de nos sympathies plus intimes.

    Mim

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