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samedi 27 mai 2017

La tête au front

Le front a son langage.

Parler du front, c'est plus qu'on ne croirait partir du ventre.
De cet autre centre de l'être qui n'est ni le cœur ni la tête.

Qui n'est pas le cœur, même s'il en faut, du courage, de la passion pour persister dans cet être, s'assumer dans le costume du loup de la République depuis tant d'années.

Qui n'est pas la tête, même si depuis la relégation du patriarche, c'est devenu plus difficile qu'avant de comprendre la viralité de son message.

Prenons pour commencer un amuse gueule par l'entremise d​'une conversation entre Marion et Natacha enregistrée le 29 Mars 2017.




Le grand mérite de l'exercice reste le relatif temps long de ces échanges. Condition première au dépliage d'une pensée, l'éclaircissement d'une proposition. Loin des slogans et de la rhétorique de chambre.


Car il m'en a fallu, du temps, pour "déplier" le discours de la jeune première, version 3.0 du lepenisme.


Premier sujet, premier débat : Le "devoir d'héritage" qu'elle promeut le 27 Mars dans sa tribune au Figaro.
Où l'on apprend que


"Marine Le Pen prend l’engagement d’ériger la défense et la promotion du Patrimoine au rang constitutionnel.

Concrètement cela signifie que la protection et la promotion du patrimoine deviendront une obligation constitutionnelle, qu’un texte législatif allant à l’encontre de cet impératif pourra être censuré par le Conseil constitutionnel."

Ce devoir de reconnaissance, aurait'elle pu ajouter, à l'égard de tous ce qu'on nous a (aurait) donné en est un bel exemple.

Or, pour Marion, l'héritage est bel et bien défini.

Il va de Clovis à Louis XVI. L'antiquité greco-latine et la présence celte, vulgairement réduite au terme générique de culture "païenne", n'étant évoquées qu'au titre de quasi préambule avant l'ère chrétienne. (Pour une remise à jour sur la question, je vous invite à visiter ces quelques archives.)

On ne poussera guère au-delà du XIXe, retenu de justesse par la mention du christianisme social.

On le savait, la chrétienté est la grande affaire des Le Pen​, cristallisée à tous égards.

Et regardée plus volontiers d'un point de vue architectural chez la Maréchal.
La pierre étant habituellement moins bavarde que la littérature, elle se rebelle moins habilement qu'elle quand pointe la récupération politique.

D'où ​l'intérêt de ​"​muséifier​"​ ​un discours. 

Aparté : Ce que Bob Dylan, fraîchement nobelisé a peut-être ressenti comme un avis de décès prémonitoire, un clapier pour artiste. Vous imaginer Jack Kerouac à Stockholm ?

Ainsi a t'il eu besoin de temps pour (enfin) renvoyer un message qui lui ressemble, entre folk song et grande littérature.

Dans un autre genre, le combat artistique de Raoul Peck contre la récupération des mouvements sociaux.

Alors faudra t'il faire du patrimoine chrétien un élément de constitution et des hall de mairie des expositions sapinières et santonnières à l'approche des fêtes religieuses ? Qu'en penseront les autres parties de notre grande France. Les autres ? Les nons-chrétiens ​veux-je dire ? Sans compter qu'il serait encore plus malvenu de la part des autres croyants d'honorer dans le même geste leurs propres valeurs religieuses.


Aurait-on posé la question à la blonde platine ? Non, cela va sans dire. On y reviendra quand même.


Autre chapitre : La définition des partis et le lien au libéralisme.

Sur ce vocable, son exposition est pourtant sans faute :
​Examinez de quelle façon la jeune femme expose la mécanique du libéralisme (à 15mn50) dans des termes que son interlocutrice ne modifierait pas d'une virgule.
Avec une facilité et un glamour qui vous l'avourais-je, m'auront fait un certain effet.
Sincèrement.

Mais le rimmel de lucidité dégouline sitôt qu'il s'agit de définition, de généalogie.
La gauche serait revenue à ses "premières amours libérales". La droite orléaniste auraient détourné l'idéal de la vraie droite (14mn20).
Jacques Julliard essaye d'être un peu plus fin que cela dans son livre sur "Les gauches françaises", dont on peut lire la critique sur le site de l'Obs.

​Je retiens juste la recommandation du chercheur à faire un pas de côté hors des partis afin de mieux s'inviter dans le monde fluctuant des idées.
Les idées et caractère​s​ politiques étant beaucoup plus partagés qu'on ne le croit, où chacun des bords de l'assemblée
​sont replacés ​de part et d'autre ​d'une ​même​ orientation. ​Au nombre de trois toujours selon Julliard :

Les jacobins à gauche contre les bonapartistes à droite (agrégat dominant).
Les libéraux de gauche contre les libertariens (anciens orléanistes) à droite.
Les collectivistes à gauche et les national-populistes à droite.

​Ainsi peut on un peu mieux comprendre la ligne commune entre une Le Pen et un Mélanchon sur leur désir protectionniste.

​De même que la définition que Macron lui-même accorde à son programme par le néologisme : "Gaullisme mitterandien."​

Mais de cela, la miss ne voudra rien entendre. L'aveu serait d'ailleurs fautif en période électorale qui a besoin de postures et d’adversaires aussi nettement définis que possible.

Nouveau (ou plutôt vieux​)​ sujet​ : L'autre​.

La jeune femme se défend régulièrement de s'inscrire dans le racialisme ​à pépé.

La direction du front la place malgré tout à la droite du parti, et notamment sur cette question qui l'opposa plusieurs fois à Philippot et à sa tante.
Sa génération a beau être celle des Black/Blancs/Beurs​ de 1998, elle n'en porte pas vraiment les couleurs.

​Quand Marine présente un différentialisme lui faisant dire qu'elle ne voudrait pas ​voir Beaucaire se changer en Marrakech, ce qui fait souche, chez la nièce procéderait davantage​ du "grand remplacement"​ :

La vieille idée modernisé​e​ ​qui fait des français​ d'origines maghrébine​s les sarrasins d'aujourd'hui​.​
L'exemple qu'elle donne de son échange avec un chauffeur de taxi d'origine tunisienne est ici éloquent (26mn10).
Traduction : Les arabes d'aujourd'hui sont les blancs colons d'hier.
Quelle démonstration, quel impartialité, quelle irréprochable objectivité historique !

L'Islam est l'ennemi. L'ennemi, qu'on ne nomme pas tout à fait comme tel, lui préférant les qualificatifs/épouvantail de "salafisme", "islamisme", "terrorisme" etc..

Autant de termes qui ne servent que de repoussoirs envers des cultures, des langues, des pensées, des histoires rendus toujours plus incompréhensibles, bien à l'abri de nous, à pourrir dans les banlieues, lieux bannis de l'espace civique.

Repoussoirs envers la complexité socio-économique et le manque à penser quant à des alternatives sérieuses et où là encore, il sera toujours plus aisé de saisir une catégorie d'individus déclassés par le prisme ethno-religieux plutôt que par celui de ses conditions matérielles d'existence.

On appelle ça l'essentialisme

Le choix d'un passé historique, d'une définition de ce qu'est la nation, la "maison France" dont l'essence s'incarne dans la christianisme procède de ce que les historiens appellent une sélection d’ancêtre.

Choisir ses ancêtres, en politique, c'est induire une adhésion attendue de la part des nationaux qu'on souhaitera voir s'identifier pleinement au patrimoine. (voir plus haut)
Cette idée présente au cœur de la question sur l'identité nationale est le cœur battant du front. Pour eux, point d'identité en mouvement.
Et pourquoi pas l'inverse ? (Lire : Les Le Pen et les Ben Ali: lointains cousins?)

Quant à la diversité.
à ceux dont la vieille tradition n'a pas connu la gloire d'être baptisé en masse par Clovis, que devient-elle dîtes moi ?

Elle va se faire entuber ailleurs. Tout comme l'ami Théo.
Qui lui comme pas mal d'autres n'aura pas attendu d'être ailleurs pour se faire..

Question de culture et de référence

Tout comme Polony, je la rejoins sans mal sur la définition de l'esprit marchand.
Là ou j'ai plus de mal c'est évidemment sur son incapacité, si ce n'est son refus, d'envisager l'autre par son meilleur côté.
La culture musulmane ne sera jamais perçue​ autrement que comme porteuse d'un virus latent.
Celui qui attend son heure pour fondre sur la République.

Si c​et informulé se renifle sans peine dans l'opinion publique depuis plusieurs années, il s'entend toujours assez bien dans la bouche des ​frontistes.


Voilà ce que j'avais envie de partager avec vous camarades.

Et si vous êtes encore là, je vous invite à écouter Valerie Igounet se demander si ​le Front national est un parti comme les autres ?
​ Et de refaire le point sur sa progression ces dernières années.



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